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Épidémies à Javené

Peste et Épidémies à Javené
aux XVIIème et XVIIIème siècles

EEntre 1562 et 1565 et surtout de 1625 à 1640, la peste fit de terribles ravages dans la région fougeraise comme un peu partout en Bretagne et dans les provinces voisines. En 1601, la dysenterie emporta 54 personnes d’octobre à janvier dans la seule paroisse de Romagné.; de septembre à décembre 1639, 360 personnes moururent à Saint-Georges-de-Reintembault, 120 à Poilley, 260 à Montours, 220 au Ferré… À Beaucé, on alla en procession jusqu’au village de la Placardière, qui se trouvait être alors le dernier village de la paroisse jouxtant le territoire de Fougères afin de demander la fin du fléau et on laissa la croix de procession dans ce villageCette croix processionnelle après avoir été recueillie par un habitant du village de l’Ecartelée, a réintégré l’église de Beaucé. Restaurée, elle est aujourd’hui présentée dans une vitrine aménagée dans la nef du sanctuaire.. À Parigné, on construisit une chapelle dédiée à saint Roch au village de la Seye en 1625 pour conjurer la peste qui ravageait la paroisse.

La peste est une maladie à multiples facettes qui est mortelle pour l’homme. Elle est causée par le bacille Yersinia pestis, découvert par Alexandre Yersin, de l’Institut Pasteur, en 1894, qui est responsable de pathologies pulmonaires.

Elle est principalement véhiculée par un rat, le Rattus rattus, qui la transmet à l’homme par l’intermédiaire de puces infectées. En raison des ravages qu’elle a causés notamment au Moyen Age, la peste a eu de nombreux impacts sur l’économie, la religion et les arts. La peste noire est une épidémie de cette époque, mais plusieurs épidémies de maladies inconnues à forte mortalité ont pu être qualifiées de peste par les chroniqueurs.

En 1635, l’épidémie sévissait d’une manière si terrible que les prêtres ne suffisaient plus à administrer les sacrements. On étendit le drap mortuaire sur les portes des églises en signe de deuil.

Il fallut établir de nouveaux cimetières: à Fleurigné, près de la Boë en 1636, et aussi à Javené, dès 1625, dans la Lande d’Iné pour ensevelir les pestiférés. Une petite chapelle fut bâtie en l’honneur de saint Roch. Ce cimetière appelé cimetière Saint-Roch fut béni le 13 août 1625, il était encore connu sous cette appellation en 1640. Il ne reste plus rien de ce cimetière et de cette chapelle aujourd’hui.

Le registre paroissial de Javené de 1625 garde la trace de la bénédiction de ce cimetière au cours de laquelle fut d’ailleurs inhumée l’épouse du métayer de la Grande-Lentière. Il est intéressant aussi de constater que l’acte qui fut rédigé à l’occasion de cette bénédiction, situe alors assez précisément l’emplacement du cimetière, à proximité d’un marais qui existait alors, même si depuis, compte tenu des bouleversements des terrains lors du remembrement de la commune de Javené et de la construction de l’hippodrome de la Grande-Marche, il nous est assez difficile aujourd’hui de retrouver sa trace exacte.

Il convient de rappeler ce qu’était alors la Lande d’Iné. Comme on peut le constater sur le cadastre dit napoléonien de Javené, dressé en 1820, la lande d’Iné occupe un vaste territoire qui s’étendait du Petit Bois-BénierCette ferme, située en contrebas de celle du Bois-Bénier, a disparu lors d’un incendie qui ravagea les bâtiments au début du XX<sup>ème</sup> siècle; elle ne fut pas reconstruite – il s’agissait d’une petite exploitation qui avait été réaménagée par le Comte de Lariboisière à la fin du même siècle. et de la LentièreSur la route de Laval. jusqu’au Bois-GrosVillage situé près du bourg, non loin du cimetière actuel de Javené. et à la Grande-Marche, environnant la Maison-Blanche et la Pâquerie, et arrivant jusqu’à la Noguerie, villages situés aux abords immédiats de la ville de Fougères, près de la rocade Sud. Une toute petite exploitation, nommée La loge d’Iné se trouvait aux environs de l’hippodrome actuel.

Cette grande lande de Javené était un terrain communal, libre d’accès, où les plus pauvres pouvaient aller faire paître gratuitement leurs bestiaux. Ces communaux étaient aussi habités, souvent par de pauvres gens sans ressources, qui s’y étaient baraqués, selon l’expression de l’époque, c’est-à-dire établis là dans une sorte de grande cour des miracles à ciel ouvert, vivant dans des huttes sommaires, comme les sabotiers ou les charbonniers de la forêt. Ce statut particulier de la Lande d’Iné est confirmé par les textes, notamment lors de l’estimation des biens du duc de la Trémoille au moment de la Révolution qui possédait notamment le moulin de Galaché alors exploité par François Ferré. Le propriétaire ayant émigré, ses biens furent vendus au profit de la Nation en 1794. Les commissaires chargés de l’estimation du moulin et des terres qui l’entouraient, dont faisaient partie le maire Alexis Turoche et le curé constitutionnel Michel Richard, jugèrent que ledit bien n’était pas susceptible de division vu qu’il y a des communaux dans la dite commune appelés La Lande d’Iné, lesquels sont partagés.

Ce ne sera qu’en 1808, sous la municipalité de Michel Richard, que la commune de Javené décidera de mettre en vente une partie de ces biens communaux, estimant qu’il en restera une assez grande partie pour que ceux qui habitent sur cette lande puissent y continuer leur habitation, considérant qu’ils ne sont point assez riches pour se procurer des bestiaux.

Ce fut donc en un lieu assez écarté des lieux d’habitation habituels que fut créé le cimetière spécialement destiné à ensépulturer les pestiférés.

Texte du registre paroissial de Javené consignant la bénédiction du cimetière pour les pestiférés dans la lande d’Iné 13 août 1625

Le treizième jour d’août mil six cent vingt cinq fut dédié et bénit un cimetière pour mettre les pestiférés, joint aux communs du marais de la lande d’Igné au coing et du dos du petit canton nommé la Landelle, proche et joignant les pièces de terre lors appartenant à Jean Balossier, et l’autre à Cannieu (ou Cavieu), et d’autre côté audit marais, et fut clos et huit croix plantées, et ce par messire Louis Moubèche pour le temps subcuré , sous l’autorité de vénérable et discret messire François Leporcher, recteur de Javené, ayant pour ce fait pouvoir et mandement exprès de vénérable prélat et discret évesque messire Le CornulierPierre Cornulier, né à Nantes en 1575, après avoir été doyen de la cathédrale de Nantes devint évêque de Tréguier en 1617 puis fut nommé au siège de Rennes en mars 1619. Ce prélat se distingua notamment par son zèle lors de l’épidémie de peste qui désola la ville de Rennes pendant une décennie. Ce fut au cours de ce fléau que les Rennais firent le vœu, en 1634, de construire une chapelle à Notre-Dame de Bonne-Nouvelle (qui fut appelée parfois Notre-Dame du Vœu) si la contagion cessait. Mgr Cornulier mourut le 22 juillet 1639 en son manoir des Trois-Croix près de Rennes et fut inhumé dans sa cathédrale dans la chapelle de Notre-Dame-du-Vœu fondée dans le transept septentrional. (Pouillé de Rennes, de Guillotin de Corson – Tome I, page 93)., évesque de Rennes et furent présents honorable homme maître François Ménard, sieur du Boisgrosse, Thomas Le Louez, Julien Gouin et autres, et fut audit cimetière ensépulturée le mesme jour Jeanne Gervais, femme de Jean Hamart, métayer à la Grande Lentière - Signé Louis Moubèche.

À Javené, il semble que l’épidémie commença au début du mois de juillet 1625 au village du Bois Benier, avant de s’étendre dans les autres villages de la paroisse, car le recteur écrit dans son registre des sépultures:

En la huitaine qui commença le 4ème juillet an 1625 jusqu’au 10ème du même mois, décédèrent de maladie contagieuse au village du Bois Benier et aultres: Julienne Bazillon, Jullien Gillebert, Jean Gillebert et plusieurs autres; Jean Potin, René Malherbe, Jean et Jeanne ses enfants, Jean Pichon et deux de ses enfants, et Mathurin Fournier et trois de ses enfants, et Julien Pichon et aultres, desquels il est requis en faire mémoire et pour servir ou délivrer estat tout courant dit. Le texte est signé du curé (vicaire) d’alors, Louis Moubèche.

Mention faite de l’épidémie dans le registre des sépultures de 1625

Ce qui fait près d’une vingtaine de morts en une semaine. Ce texte ne nous dit pas où ces malheureux furent enterrés, peut-être le furent-ils au nouveau cimetière Saint-Roch cité plus haut qui fut officiellement béni le 13 août suivant. Pourtant, il apparaît que le nombre de décès, après cette semaine particulièrement meurtrière, reprenne un cours assez normal et nous constatons que jusqu’à la fin de l’année, ces derniers sont même assez espacés.

Le vicomte Le Bouteiller, rapportant un mémoire de M. Lorfeur du Boisnouault qui fait état des événements qui se passèrent à Fougères entre 1632 et 1734, écrit: La peste qui commença en la ville de Fougères en 1632 et ne cessa qu’en 1634, n’était pas seulement dans la ville que le fléau étendait ses ravages, il n’était pas moins meurtrier dans les paroisses voisines…L’épidémie du reste ne s’étendait pas seulement au pays de Fougères, mais à toute la Bretagne et même à des régions beaucoup plus éloignées… les habitants de Fougères, décimés par la contagion, s’adressèrent à Dieu avec toute la ferveur de la piété, surexcités par la crainte qu’inspirait le fléau. Les prières publiques, les vœux, les processions, tout fut mis en œuvre pour apaiser la colère du cielLe Bouteiller: <i>Notes sur l’histoire de la ville et du pays de Fougères</i> - Tome IV, page 132-133..

Saint Roch naquit à Montpellier vers 1340 et mourut à Voghera en Italie vers 1376/1379. Seul fils d’un consul de la ville et d’une mère nommée Libère, il devint orphelin très jeune et fut confié à son oncle. Il étudia probablement la médecine car, pour soigner un bubon, il utilisait une lancette, instrument utilisé par les médecins de la ville. Montpellier possédait des écoles de médecine depuis 1141. À sa majorité, il distribua tous ses biens aux pauvres et partit en pèlerinage pour Rome. Il s’arrêta en plusieurs villes atteintes par la peste où il s’efforça de soigner et de soulager les malades. Il est le patron des pèlerins et de nombreuses confréries ou corporations: chirurgiens, apothicaires, paveurs de rues, fourreurs, pelletiers, fripiers, cardeurs, et aussi le protecteur des animaux. Son culte, très populaire, s’est répandu dans le monde entier.

AnnéeDécèsBaptêmes
16241558
162516 + 2056
16262142
16273447
16282050
16292466
16302555
16312067
16322364
16332371
16342942
16351980
16362064
16374160
16384163
La statue de saint Roch à l’église Saint-Sulpice de Fougères.
Elle témoigne encore de la dévotion des Fougerais envers ce saint qu’ils imploraient pendant l’épidémie de peste..

La paroisse de Javené ne fut pas épargnée. La consultation des registres paroissiaux nous permet de comparer le nombre de décès entre 1624 et 1640 et d’être édifié sur les ravages de la peste dans la paroisse, l’année 1639 ayant été la plus meurtrière. Le nombre de baptêmes célébrés pendant la même période est également significatif.

On peut considérer comme année normale les années qui n’excèdent pas 25 décès par an. En 1639, les naissances sont bien loin de compenser les décès, tout en sachant aussi que beaucoup d’enfants meurent en bas âge. En 1636, on voit le premier décès de la peste, prélude à l’épidémie qui allait suivre. On peut lire: Charles Tirel décédé de la peste le 4ème octobre 1636 et fut ensépulturé le sixième dudit mois.

Autres victimes déclarées mortes de la peste
Année 1637

Dans le registre des sépultures de cette année 1637, nous pouvons lire:

La peur de la contagion est perceptible, on procède même à l’inhumation de nuit de la personne atteinte de manière à ce que personne ou presque ne puisse y assister. D’ailleurs les actes de sépulture ne mentionnent le nom d’aucun témoin. C’est ainsi que nous lisons dans l’acte de sépulture de Perrine Morchouasne ci-dessous:

Le recteur écrit: Dans la susdite semaine (entre le 14 et 21 avril 1637) décédèrent de la peste: Ollivier Levesque, Pierre Nogri et Nicole Levesque, et furent apportés dans le cimetière commun dudit Javeney .

Nous trouvons encore:

Années 1638 et 1639

Il n’y a aucune mention particulière de la cause de décès des paroissiens de Javené au cours de l’année 1638 ni dans les neuf premiers mois de l’année 1639. Par contre, au cours des mois d’octobre, de novembre et décembre 1639, une grave épidémie de dysenterie fit des ravages parmi la population javenéenne, puisque, au cours de ces trois mois, nous comptabilisons 73 décès, avec un pic particulier de 40 décès au mois de novembre, où chaque jour, plusieurs inhumations sont faites dans le cimetière paroissial.

Toute la population semble touchée par la maladie, car nous trouvons également des notables de la paroisse qui se font parfois inhumer dans l’église.

C’est le recteur lui-même qui indique la raison de cette hécatombe lorsqu’il écrit en marge de son registre à la date du 2 octobre dicenterie et à la date du 23 décembre 1639: Fin de la dicenterie.

Pendant cette période, les recteurs de Javené furent:

Beaucoup des personnes décédées furent ensevelies dans le cimetière paroissial, mais les registres révèlent que certaines d’entre elles furent ensépulturés dans le cymetière pour les pestiférés de la Lande d’Iné, telle cette femme morte au village de Mézaubert en 1638 qui semble être une mendiante. L’acte dressé dit ceci:

Dudit jour fut ensépulturée dans le cymetière dédié pour les pestiférés proche la lande d’Iné, une femme inconnue et décédée dans un fourg au village de Mézaubert, et de par la vérification qu’ont dit les habitants dudit village qu’elle demandait l’aumône au nom de Notre Seigneur et de la Vierge sa mère. Les cérémonies faites par messire Lemercier, subcuré.

En 1640, la peste sévit toujours à Javené, le recteur de l’époque la mentionne en marge des actes de sépulture de Mathurin Gaulier et de son père Jean, morts l’un et l’autre de ce fléau au moulin de Gâlaché à quelques jours d’intervalle.

Actes de sépulture portant la mention peste en marge en septembre-octobre 1640

Nous lisons: Mathurin Gaulier demeurant au moulin de Galasché fut ensépulturé dans le cimetière de Javené le Xème jour de septembre 1640; présents Jean Gaulier, Guillaume Radier, Julien Bodin, René Bertel et aultres et fist la sépulture G. Lemercier. En marge la mention peste a été apposée.

Quatre jours plus tard, Jean, père de Mathurin Gaulier, bien qu’il soit présent à la sépulture de son fils, meurt de la même maladie qui semble être assez fulgurante. Il fut enterré la nuit suivante dans le cimetière Saint-Roch tout proche de Galâché, pour éviter la contagion sans doute, ce qui prouve aussi que ce cimetière créé pour les pestiférés en 1625 dans la lande d’Iné était toujours utilisé à cette époque. Nous lisons:

Jean Gaulier, demeurant au moulin de Galasché en la place de son fils, décéda de la peste le 14ème jour de septembre 1640 et fut ensépulturé au cimetière de St Roch la nuit d’entre le 15 et 16ème dudit mois par Nicolas Lemettayer. Suit également l’inhumation de Michel Bertin, demeurant au Bois Grosse décédé de la peste le 7ème jour d’octobre 1640 dont on ne dit rien de plus sur son inhumation.

À la suite de ces calamités, il se produisit un certain renouveau religieux. Nous l’avons dit, des prières publiques, des processions, des pèlerinages furent organisés, des confréries à sainte Anne et à saint Roch furent créées, des chapelles furent construites, des congrégations religieuses s’établirent dans le pays; le XVIIème siècle fut une des époques les plus profondément religieuses de l’histoire<i>Histoire de France</i>, de Baudrillart, page 323..

Au début du registre paroissial de 1669, on trouve cette mention laissée par le recteur François Prières: On nous a rapporté que Jeanne Lambert, décédée à la Petite Lentière, a été ensépulturée le 9ème 9bre 1669 dans un cimetière qu’on nous a dit estre dans la lande d’Igné, à cause de la putréfaction du corps que l’inestime aurait négligé d’apporter à l’église.

Le recteur semble découvrir qu’il existe un cimetière dans la lande d’Iné lorsqu’il écrit un cimetière qu’on nous a dit être dans la lande d’Iné. Cela montre en tout cas qu’en 1669, ce cimetière n’était plus utilisé. On ne sait ni de quoi ni comment Jeanne Lambert était morte. Si son corps fut trouvé en état de putréfaction sur la lande, on peut supposer tout ce que l’on veut et le terme inestime qui lui est attribué veut peut-être dire que cette femme était peu considérée. Etait-ce une pauvresse, une mendiante comme il y en avait beaucoup… ? Ce qui est certain c’est qu’elle mourut en bien pauvre femme

Une autre épidémie dont le clergé ne cite pas le nom, mais qui pourrait bien être la dysenterie sévit encore à Javené en 1669. Elle commença aux alentours du 15 septembre et ne se termina que vers le 15 novembre. Pendant ces deux mois, on compte 72 décès, avec un pic de 36 décès pour le seul mois d’octobre, sur les 87 inhumations faites dans la paroisse au cours de l’année entière.

En 1676, sur les 65 décès enregistrés dans la paroisse, 30 eurent lieu entre le 14 août et le 30 septembre, soit en un mois et demi, avant de retomber à 9 décès pour l’ensemble des trois derniers mois de l’année. Il est bien probable qu’une épidémie dont on ne dit pas le nom ait eu lieu à cette époque-là.

D’autres maladies sont parfois mais assez rarement mentionnées dans les registres paroissiaux de Javené, sans doute parce que le prêtre les jugeait assez grave, comme cette mention portée sur l’acte de sépulture de Geneviève Digné Frommebaillé, dont on précise qu’elle était nourrice et qu’elle mourut de la galastyhière. Elle fut inhumée dans le cimetière de Javené le 21 avril 1634. Cette personne habitait sans doute à Iné. Nous ignorons totalement quelle était cette maladie qui touchait, peut-être, les femmes allaitantes ?

Outre les diverses épidémies dont on ne précise pas particulièrement les noms, souvent désignées comme étant des fièvres malignes ou des fièvres putrides, la malnutrition, le manque d’hygiène fragilisent les populations les plus pauvres. Des intempéries entraînant de mauvaises récoltes ajoutent des disettes répétées à la misère récurrente du moment.

Lorsque nous étudions les décès de la paroisse de Javené, la fin du règne de Louis XIV ne fut pas aussi calamiteuse qu’on a bien voulu le dire, du moins pour Javené. Au cours des dix dernières années du règne, il n’y a qu’en 1707 et 1708 que l’on dénombre des décès d’enfants plus importants (42 en 1707 et 55 en 1708), dont la moitié décédés au cours de la première année de leur existence et les autres avant leur 6ème anniversaire. Les adultes sont particulièrement peu nombreux à mourir ces années-là (16 les deux années). En 1710, il y a autant d’adultes que d’enfants à trépasser (33 et 31), 8 adultes ont plus de 70 ans. Entre 1711 et 1715, il y a peu de décès à Javené, le maximum d’enfants décédés n’excède pas 4.

            

Mais à partir de 1719 et ce jusqu’en 1741, le nombre de décès augmente d’une manière très significative, notamment chez les très jeunes enfants qui ont beaucoup de mal à passer le cap des 5 ans. L’année 1719 fut la plus meurtrière avec 162 décès (71 adultes et 91 enfants, celle de 1741 équilibra les décès avec 50 adultes et 50 enfants. Entre ces deux dates, on dénombre, chaque année, entre 45 et 100 décès dont une majorité d’enfants en bas âge avant une accalmie de quelques années au cours desquelles on retrouva une certaine stabilité dans le nombre de sépultures faites à Javené.

Le répit fut de courte durée, car à partir de 1748, le nombre de décès repartit sérieusement à la hausse notamment chez les enfants avec un pic de 119 décès au cours de l’année 1756 parmi lesquels on dénombre 95 enfants dont 61 ont moins de 6 ans. Il s’agissait probablement d’une épidémie enfantine qui commença à la-mi septembre (13 décès) et fit des ravages pendant tout le mois d’octobre au cours duquel on compte plusieurs décès par jour pour totaliser 47 décès de jeunes enfants le même mois. Cette épidémie cesse à ce moment-là et les mois de novembre et décembre ne comptent plus que 6 et 5 décès d’enfants. À contrario, on ne compte que 24 décès d’adultes dans l’année.

L’année 1766 voit également un grand nombre de décès, 108 au total dont 92 enfants (72 d’entre eux n’ont pas 6 ans). Ces décès se répartissent tout au long de l’année avec une pointe de 14 décès au mois de décembre, mortalité qui se poursuit en janvier 1767 avec 15 décès.

Dans un précédent bulletin, nous avons évoqué la disette du terrible hiver 1771-1772 qui entraîna tout le Pays de Fougères dans une misère noireMarcel Hodebert: <i>La disette au Pays de Fougères ou le terrible hiver 1771-1772/i> - Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique et Historique de l’arrondissement de Fougères – Tome XXVII, année 1988 – pages 3 à 39.. Déjà en 1769, à la suite de l’hiver rigoureux de 1768 qui avait compromis les récoltes, une disette s’était abattue sur tout le Pays de Fougères, entraînant une hausse des prix du blé qui obligea le Parlement à autoriser les généraux de paroisses à puiser dans les caisses des fabriques pour secourir les pauvres. La moisson de 1771 ne produisit que le tiers des récoltes des mauvaises années.

Les Archives d’Ille et Vilaine conservent toute une série de documentsArchives départementales d’Ille et Vilaine – série C  1346, 1719-20-22-23-27, 2540. qui attestent de la grande misère engendrée par la disette de cet hiver particulièrement rigoureux. Ce fut le comte de Farcy, seigneur de Mué en la paroisse de Parcé qui, voyant la situation déplorable dans laquelle se trouvait les paysans du pays, alerta le subdélégué de Fougères, M. Blanchouin de Villecourte qui, jusqu’à présent, semblait ignorer la réelle situation des campagnes.

Le comte de Farcy, dans sa lettre du 18 décembre 1771, écrit: Il règne dans la paroisse de Parcé et aux environs des fièvres malignes et épidémies très dangereuses, qui ont déjà emporté un grand nombre d’habitants et des chefs de famille. Il paraît qu’on attribue ce fléau à la disette des bleds qui règne dans ce canton où la dernière récolte a été mauvaise…. Il réclame un médecin pour visiter les villages afin d’établir un état de la situation et voir si le mal est assez sérieux pour intéresser le Gouvernement.

M. de Villecourte envoya le médecin fougerais Régnault et demanda aux recteurs des états nominatifs des malades et des pauvres afin de leur porter secours. Il en avisa également l’intendant de Bretagne, Guillaume Joseph du Pleix de Bacquencourt.

Le rapport du médecin Régnault, daté du 24 décembre, est éloquent: Nous avons trouvé, dit-il, plusieurs malades couchés sur la paille, attaqués de fièvre maligne, de fièvre putride avec redoublement et cours de ventre, les uns jetant des vers ou ayant un délire ou transport des plus violents…. Devenus pulmodiques, toussant à perdre haleine et jetant quantité de crachats purulents avec une fièvre lente qui les exténue, avec enflures aux extrémités…. Et d’en donner les raisons: la cause de ces fièvres ne le sont que des mauvais levains et sues accumulés dans l’estomac et dans les premières voies…. Il constate: ces pauvres gens dont la plupart n’ont pas de pain et encore le peu qu’ils en ont n’est pas bon… l’expérience journalière nous a appris que ceux qui ont eu quelques ressources n’ont pas péri, le nombre n’en est que très petit….

Le jour même, le subdélégué envoie le rapport du médecin à l’Intendant avec une lettre d’accompagnement dans laquelle il écrit: Presque toutes les paroisses de mon département sont dans la plus grande misère, surtout: Parcé, Billé, Javené, la Chapelle-Janson, Luitré, Le Loroux, Laignelet, Lécousse et Saint-Germain-en-Coglès. Le plus grand nombre des habitants de ces paroisses sont sans aucune ressource, nus, couchés sur la paille, malades et manquant de pain…

Je tiens ce triste détail des recteurs, ils sont témoins de la misère sans pouvoir arrêter le progrès faute de secours et de bons aliments à distribuer à tous les malheureux. On va consommer en peu de temps le peu de grain qui reste, le prix en excédera celui de l’an passé et la cherté mettra le comble à la misère si nous ne recevons des secours.

Nous invitons nos lecteurs à se reporter à l’étude publiée dans notre bulletin n°27 cité plus haut pour connaître la suite qui sera donnée à cet appel au secours. Les lettres des recteurs arrivent nombreuses chez le subdélégué, accompagnées des états demandés. Si à Parcé, on fait état de 76 malades, à Javené on en dénombre que 17, mais on signale 330 pauvres ou nécessiteux dont 211 enfants.

Dans cette étude, nous verrons que les paroisses reçurent des secours, on distribuera notamment, pour la première fois, du riz aux populations pour compenser le manque de blé. En mars 1772, un fait nouveau alimente toutes les conversations: les autorités proposent aux recteurs un produit nouveau, un produit totalement inconnu chez nous jusqu’alors: il s’agit de la pomme de terre. La rumeur entretient sa dangerosité et on ne sait pas comment l’apprêter, aussi continuera t’on encore pendant un certain temps à préférer les traditionnelles galettes de blé noir, étant, de surcroit, trop réoccupé par l’ensemencement des terres en vue de la prochaine récolte que l’on espèrera meilleure que la dernière.

Pour ce qui concerne Javené, ces années 1771 et 1772, virent effectivement un nombre de décès supérieur aux autres années, avec 70 décès en 1771 (41 enfants et 29 adultes), et 91 décès en 1772 (47 enfants et 44 adultes). Comme le plus souvent, ce sont les enfants les plus jeunes qui sont atteints, la plupart n’ont pas encore 6 ans.

Comme dans tout le royaume où l’on signale des épidémies de dysenterie et des disettes à répétition à cette époque, la situation de Javené perdurera plus ou moins les années suivantes, et même si la mortalité générale diminue, nous constatons toujours que les jeunes enfants sont les plus nombreux. Ce ne sera qu’à partir de 1784 que le nombre de décès chutera d’une manière un peu plus significative. L’année de la prise de la Bastille, année plus faste que les autres semble t-il, il n’y aura que 32 décès à Javené (8 adultes et 24 enfants); en pleine Terreur, alors que plusieurs assassinats sont perpétrés dans la commune par les chouans, on ne dénombrera que 27 décès en 1793 et 29 en 1794.

Enfin pour terminer ce XVIIIème siècle, une épidémie semble avoir sévi au début de l’an V (1796-1797), car nous assistons à une recrudescence des décès d’enfants. Sur les 77 décès enregistrés cette année-là, 53 concernent des enfants dont 37 pendant le seul mois de vendémiaire (septembre-octobre 1796).